24 janv. 2009

Bon j'ai décidément beaucoup de mal à tenir mon blog à jour...
En tout cas, la réalisation de "Quand souffle le vent" est terminée. L'album devrait paraître courant Mars et l'équipe Dargaud est en train de mettre en place la promotion de l'album. Laurent et moi avons, pour l'occasion répondu à quelques questions destinées au dossier de presse. Je vous livre ici le contenu de cette "mini interview".
Attention, certains ingrédients de l'histoire y sont plus ou moins dévoilés...

1/ Tout d'abord, un petit cv, votre parcours professionnel et ce qui vous fait bouger dans la vie (loisirs, lectures etc)
Laurent Galandon : J’ai été photographe sur Paris avant de diriger un cinéma d’Art et d’Essai en banlieue parisienne. Un parcours finalement toujours intimement lié aux images et à la narration. Lorsque j’écris une histoire, je projette donc assez naturellement des « clichés », au fur et à mesure. Parfois, une simple image va générer une séquence et, inversement, une situation en appellera de nouvelles.
Ensuite, outre essayer d’écrire des histoires intéressantes, j’ai deux passions majeures : lire des livres et regarder des films… Donc finalement je ne bouge pas beaucoup !
Et mes goûts sont très éclectiques. Aussi serait-il trop long de les développer ici :o)

Cyril Bonin : Je suis né et j’ai vécu les 18 premières années de ma vie à Montceau-les-mines, en Bourgogne. J’ai commencé à réaliser mes premières bandes dessinées à l’âge de 11 ans. C’était un moyen pour moi de prolonger le plaisir de mes lectures (De la BD franco-belge, mais surtout, beaucoup de comics américains). Assez vite, vers 13 ans, j’ai décidé d’en faire mon métier. Tout mon temps libre, toute mon attention, tous mes efforts furent dès lors tournés vers ça. Après le bac, je suis entré en année probatoire aux beaux-arts de Mâcon, puis j’ai suivi une spécialisation en illustration aux arts-déco de Strasbourg. J’ai finalement achevé ma formation par un DESS en images de synthèses. Par contre, je suis quelqu’un qui « bouge » peu dans la vie. Mes voyages sont surtout intérieurs. Donc, en tant que sédentaire, ce qui me nourrit, ce sont mes lectures (Boris Vian, A Nothomb, Paul Auster, Marcel Aymé …) la musique (En vrac : Gainsbourg, Daho, Chet Baker, AIR, de l’électro, du Jazz, du classique…). Mais je suis surtout un cinéphile. Mon père m’a refilé le virus quand j’étais petit et j’ai été nourri au « cinéma de minuit » de Patrick Brion et au « cinéclub » de Claude Jean-Philippe. Mes cinéastes de prédilection sont Billy Wilder, Frank Capra, Mankiewicz, Marcel Carné, Alfred Hitchcock , les frères Coen…


2/ Comment vous est venue l'idée de cette histoire ? Vient-elle de Laurent, de Cyril, des deux ensemble ?
LG :
C’est une histoire que j’avais entièrement écrite avant même de rencontrer Cyril, qui – à ma grande joie et plus encore aujourd’hui au regard de l’album achevé – s’est trouvé disponible.
Les « Tsiganes » et les « Mineurs » sont deux univers archétypaux très forts que je souhaitais traiter. Et puis, sans être capable d’expliquer l’élément déclencheur, il m’a semblé que leur croisement pourrait être intéressante. Que pouvait-il se passer entre des personnages sédentaires et particulièrement attachés à leur travail et leur environnement et les éternels voyageurs que sont les Tsiganes (du moins tels qu’ils sont ici) ? J’ai rapidement été convaincu d’avoir là le terreau pour une bonne histoire.

CB : L’idée vient de Laurent. Mais j’ai tout de suite été séduit par cette histoire et je l’ai prise à bras le corps.

3/ Pourquoi cette histoire, ce milieu, les tsiganes, cette époque ?
LG :
L’univers des Tsiganes est fascinant ! Omniprésents dans toutes les sociétés occidentales, ils font rêver (leur indéfectible liberté ; leur itinérance permanente) et pourtant leur mode de vie « inquiète » tant il est détaché de aspirations classiques des « sédentaires ». Et, l’inquiétude provoque la peur ; et la peur, la violence.
Situer l’histoire au début du 20ème siècle permettait d’une part d’aborder les mineurs de manière fortement référencé (Germinal !) et d’autre part de rendre plus crédible la dimension fantastique de l’histoire : la peur du fantôme !

CB : Quand Laurent m’a proposé cette histoire, j’ai tout de suite été attiré par cette confrontation de deux univers, l’un sédentaire, extrêmement attaché à la terre et l’autre nomade, transportant ses racines avec lui. Le scénario a aussitôt suscité en moi des images aux couleurs contrastées. Et puis, c’était l’occasion de sortir du luxe des salons de l’aristocratie londonienne à laquelle j’étais habitué dans Fog (chez Casterman).

4/ Que cherchez-vous à faire passer dans ce one-shot ? Qu'est-ce qui vous tenait particulièrement à cœur ?
LG :
Toutes mes histoires, écrites et à venir, sont traversées par des thématiques récurrentes : les discriminations (et ses sombres déclinaisons) et l’intolérance, et les différentes violences qu’elles génèrent. De ce point de vue, « Quand souffle le vent » est néanmoins mon scénario le plus romanesque. Donc il s’agissait davantage de raconter une rencontre improbable… Mais mes sujets de prédilection restent présents.

CB : Je crois qu’au fond, ce à quoi je suis le plus sensible, ce sont les destins individuels. Ici, les destins d’Antoine et Khéshalya sont d’autant plus captivants, qu’ils sont soumis à un environnement difficile (les mines, des conditions de travail épouvantables, la misère) et à deux cultures extrêmement fortes. Laurent est particulièrement doué pour développer des personnages confrontés à l’intolérance et au rejet de la différence, tourmentés par la société. Ici, le pari était d’autant plus difficile que nous mettions en scènes des personnages taciturnes et « taiseux » ,qui s’expriment peu. Mais Laurent est capable de développer des caractères riches et profonds avec une économie de mots.

5/ Avez-vous un rapport particulier avec les Tsiganes ou avec les mineurs ? Votre histoire rejoint-elle celle de votre (vos) familles ? Un souvenir, une anecdote, un secret de famille a-t-il été le détonateur (cette question rejoint un peu la 2ème mais souvent en posant les questions différemment, les auteurs s'expriment davantage) ?
LG :
Pour ma part, je n’ai aucun rapport ou filiation avec des mineurs ou des Tsiganes. Pour ces derniers néanmoins, j’ai eu l’occasion d’en rencontrer. Cependant le contexte de mes échanges était directement lié à mon activité d’alors et par forcément favorable à une discussion approfondie. J’aimerais pouvoir consacrer davantage de temps à la rencontre avec des protagonistes ayant vécu ou vivants dans l’univers développé à l’occasion d’un scénario. Probablement viendrais-je un jour à cette méthode de travail, incontestablement plus riche de mon point de vue – sans être exclusive – que l’unique recherche de documentation livresque ou filmique.

CB : Ça n’a pas été un élément déclencheur, mais je me suis rendu compte en cours d’album que ce récit avait une résonance particulière avec ma propre histoire. Comme je le disais un peu plus haut, j’ai passé 18 ans à Montceau-les-mines, qui est une petite ville minière. Bien sûr, le sud de la Bourgogne n’a rien à voir avec le nord de la France, si ce n’est la pluie. Mais mon grand-père a travaillé au fond de ces mines. Suite à un éboulement, dans lequel il a laissé un doigt et l’usage de sa main gauche, il rejoignit la surface où il fut lampiste. Il est mort quand j’avais 12 ans d’un cancer de la gorge. C’était un gros fumeur, mais le charbon n’a rien arrangé. Quant aux Tsiganes, ma compagne a travaillé pendant quelques mois pour une association strasbourgeoise dont le but était de promouvoir leur culture. Elle a été amenée à faire des recherches sur l’historique des vêtements de cette communauté et j’ai bénéficié de certains de ses conseils. Et puis ma sœur, qui a également travaillé pour cette association, est violoniste et a été influencée par leur musique.

6/ Comment avez-vous travaillé ensemble ?
LG :
De manière assez traditionnelle, je pense. J’avais fait un découpage dialogué que j’ai envoyé à Cyril. Il m’envoyait les planches régulièrement. Et comme Cyril est particulièrement doué et inspiré, il n’y avait quasiment jamais rien à redire ! Je crois que les doigts d’une main suffiraient pour comptabiliser les points sur lesquels nous sommes revenus.

CB : C’est peut-être le monde moderne qui veut ça, mais nous avons surtout travaillé à distance. Laurent a pris contact avec moi par mon site internet. Nous avons ensuite communiqué par mail et par téléphone. Finalement, à ce jour, nous ne nous sommes vu qu’une seule fois, alors que j’avais terminé le dessin des planches et que j’allais commencer la couleur. Néanmoins, notre collaboration a été des plus harmonieuse. En fait, nous avons été sur la même longueur d’onde du début à la fin. Et puis, Laurent est quelqu’un de très ouvert et nous avons beaucoup échangé. Même si les sujets que nous souhaitons traiter diffèrent parfois, nous avons la même conception du travail d’auteur.

7/ Dessin: comment vous y êtes-vous pris pour recréer l'atmosphère de l'époque ? De quelles gueules (il y en a de belles) vous êtes-vous inspirés ? Et les couleurs (je n'ai que des copies), c'est vous qui les avez faites ou pas ? Par ordi ou en direct ?
CB :
Au départ, Laurent m’a fourni des images qu’il avait piochées sur internet. J’ai bien sûr visionné le « Germinal » de Claude Berri sur les conseils de Laurent (idéal pour les décors et les mœurs), ainsi que le « Temps des gitans » de Kusturica (hélas, trop contemporain). J’ai ensuite complété cette base par quelques recherches personnelles et l’achat de bouquins (sur les tsiganes notamment). Pour les « gueules », mis à part celle d’André Mortier, qui est inspirée de l’un des acteurs de « Germinal », toutes les autres sont des créations pures. Néanmoins, la période où se situe l’action n’est pas si éloignée du 19ème auquel je suis habitué. Les vêtements et les coupes de cheveux n’ont pas beaucoup changé depuis et j’ai beaucoup de documentation sur le sujet.
Je réalise toujours la mise en couleur, car pour moi, l’image est un tout et j’ai une vision assez précise de ce que je veux. Et puis surtout, j’ai un tel plaisir à le faire que je n’arrive pas à déléguer. La mise en couleur est faite sur Photoshop. Comme toujours, j’ai essayé d’avoir une gamme colorée restreinte, sans trop de détails afin de privilégier l’ambiance et de faire la part belle au trait. Il y a beaucoup de scènes de nuit et je me suis efforcé de les traiter différemment à chaque fois. Parfois, la couleur des personnages est simplement filtrée en bleu, parfois la lumière sur les personnages est bleue alors que les ombres restent colorées mais assombries, ou réchauffées…Bref, c’est une vraie cuisine.
Comme je ne souhaite pas me laisser enfermer dans un style, je m’efforce de faire évoluer mon dessin d’album en album. Ici, tout en restant dans un registre semi-réaliste, j’ai surtout cherché à épurer mon trait, à ne pas me perdre dans les détails pour trouver un équilibre… une harmonie.

8/ Scénario: de quelle façon vous êtes-vous documenté (ITW, Internet, bibliothèque)
LG :
Comme pour toutes mes histoires, avant la rédaction de la première ligne, je me plonge d’abord dans des lectures de romans, d’essais ou d’études portant sur le sujet que je souhaite développer. Les éventuels films ou documentaires ne viennent que dans un second temps – quand la trame de l’histoire est déjà bien tracée - probablement parce que l’image possède un « pouvoir d’influence » plus (ou trop ?) fort chez moi.
Cette étape de recherche et d’imprégnation est également l’occasion de réunir quelques éléments iconographiques que j’ai proposés à Cyril.
En guise d’anecdote, j’ai également investi pour ce scénario dans un ouvrage assez ésotérique portant sur la magie tsigane, type d’ouvrage que vous ne trouvez qu’en vous rendant sur des sites spécialisés…

9/ Etes-vous sensible à la psychologie générationnelle ? Vous êtes-vous documenté là-dessus?
LG :
Euh… Non. En fait je n’y avais même pas pensé avant… votre question :o)

CB : Je ne dirais pas que je suis sensible à la psychologie générationnelle. Par contre, je suis sensible au temps qui s’écoule et à la vie qui passe. Nous sommes tous les héros de nos propres vies et nous sommes tous de futurs vieillards. Dans l’album, Louis, le grand-père d’Antoine, n’est pas le héros, mais il a lui aussi son histoire et son passé vient éclairer le présent. Et puis, de manière générale, un vieil homme qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle et je trouve important de transmettre… avant qu’il ne soit trop tard.

10/ Croyez-vous aux fantômes ? A la vie après la mort ? Etes-vous, l'un ou l'autre ou les 2, sensibles à ces sujets ? Si oui, développez un peu…
LG :
Je ne crois ni aux fantômes (mais je ne le crie pas trop fort dans le cas où ils voudraient me prouver le contraire), ni à une vie après la mort (mais je suis preneur si je peux la choisir). Par contre la mort m’ « intéresse » ou plus précisément les sentiments et les actes qu’elle est susceptible d’engendrer chez les vivants : peur, ressenti, tristesse (ou joie) rancune, envie vengeance, sensation d’abandon etc. Autant d’émotions qui nourrissent les personnages.

CB : Je ne crois ni aux fantômes, ni à la vie après la mort, mais j’aimerais y croire. Pour l’instant, je suis plutôt agnostique. Je crois en quelque chose, mais je ne sais pas en quoi.
Néanmoins, lorsque l’on dit que rien ne se crée et que tout se transforme, j’entends aussi que rien ne disparaît totalement. Alors, pourquoi pas les âmes ?...Au-delà de ça, je crois au lien invisible qui nous relie à ceux qui ne sont plus là.

11/ J'aime la fin, elle m'a quasiment fait venir des larmes, mais quand même une question: pourquoi une fin aussi tragique ? C'était plus simple et plus facile d'imaginer une fin heureuse, on part main dans la main lalala… Alors pourquoi ?
LG :
Peut-être parce que je suis un garçon terriblement triste !?! :o) Ou plus simplement parce qu’elle est plus crédible (à mes yeux j’entends) ainsi : il est bien rare de voir deux entités que tout oppose s’en aller main dans la main sur un fond de musique sirupeuse. Dans le meilleur des cas, elles se tolèrent et/ou s’ignorent… Dans le meilleur des cas.
Par ailleurs, j’aime l’idée d’offrir au lecteur sa part d’interprétation : une telle fin lui laisse la possibilité d’apporter la réponse qui lui convient le mieux quant au pouvoir (ou la malédiction) de notre héroïne Kheshalya.

CB : Moi, j’avais proposé à Laurent de faire mourir Antoine. Mais cette fin là est peut-être encore plus terrible.

12/ Etes-vous, l'un ou l'autre ou les 2, d'un tempérament genre no future ou pas ?
LG :
« No future », je n’irai pas jusque-là ! Disons que si les deux derniers siècles ont apporté un lot considérable d’évolutions sociales et culturelles, ils se traînent également nombre de « casseroles » qui ont parfois encore d’inquiétantes répercussions de nos jours. Je « m’amuse » modestement à les pointer du doigt…

CB : Disons que pas mal d’ingrédients sont réunis pour que l’histoire de l’humanité tourne au vinaigre : guerres, crises, ressources naturelles épuisées, pollutions, couche d’ozone en dentelle et surtout surpopulation. Les solutions ne viendront pas des politiques, mais de chacun de nous, en changeant nos comportements. Arrêter le « tout voiture », l’essence, les aliments sous plastiques, les centrales nucléaires. Passer à l’éolien, au solaire, à l’hydraulique, privilégier les commerces de proximité. De toute façon, vivre c’est lutter. Alors, vivons.

13/ Avez-vous foi en l'avenir ? Pensez-vous, à l'avenir, développer des histoires contemporaines ou d'anticipation ou êtes-vous plus sensible au passé ?
LG :
Ma période de prédilection s’étale du début du 19ème siècle à nos jours, il est donc très probable que je propose de nouvelles histoires situées dans ces époques, d’autant que j’aime m’appuyer sur des «faits historiques » ou, comme c’est davantage le cas dans Quand souffle le vent, sur des époques fortement marquées (les Gueules noires en l’occurrence). Enfin il n’est pas impossible que je me tourne vers de l’anticipation, dans le sens d’un futur proche, parce qu’elle ouvre alors des perspectives riches…

CB : Oui, j’ai foi en l’avenir car j’ai foi en l’être humain. Ça ne veut pas dire que ça ne va pas être dur pour autant. Cela m’intéresserait de me pencher sur notre société et d’en imaginer un futur possible à travers une œuvre d’anticipation, mais c’est vrai que je me tourne plus naturellement vers le passé. Comprendre d’où l’on vient m’aide à mieux voir où l’on va. Toutes ces choses qui nous entourent et nous paraissent normales, télé, téléphones, ordinateurs, voitures, cinémas, DVD, n’ont pas toujours été là. Et ne seront peut-être pas toujours là. Et puis, il y a eu par le passé des mœurs, des modes, des courants artistiques ou architecturaux qui sont fascinants.

14/ Que privilégiez-vous ? One-shot ou un jour vous embarquerez-vous dans une série ?
LG :
A ce jour, je ne pose pas la question de cette manière. J’écris une histoire qui me plaît avec un début, un milieu et une fin. Ensuite je m’interroge (parfois avec l’éditeur) sur la forme qu’elle pourrait prendre et si elle pourrait donner lieu à une suite pertinente. Ce qui est certain, c’est que je n’en ai pas fini avec l’univers des Tsiganes et que j’y reviendrai avec de nouvelles histoires…

CB : Eh bien je n’ai pas d’à priori. Mais les thèmes que j’ai envie d’aborder sont si variés que j’ai un peu de mal à envisager une série pour l’instant. Je prépare donc en ce moment un récit en deux tomes pour Dargaud. Il s’agit d’une comédie policière qui marche sur les traces d’Arsène Lupin et qui se déroule dans la banlieue de Paris en 1910. Ainsi qu’une adaptation d’un roman de Marcel Aymé chez Futuropolis en one-shot qui se déroulera en 1950. Ces deux projets seront traités dans un registre de dessin moins réaliste que ce que je fais habituellement, le ton sera plus léger… et le dessin aussi.

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